•  

    La pluie tombait depuis une bonne heure, obscurcissant le ciel et changeant le chemin en une boue collante et grasse. La nuit approchait et chaque pas devenait une épreuve où la boue refusait de lâcher la chaussure. Sa cape de voyage avait abandonné le concept d’imperméabilité depuis plusieurs semaines et le froid de l’hiver naissant lui glaçait les muscles.

     

    Il releva la tête et retrouva la lueur de la lanterne qui se balançait dans le vent, accroché à un poteau, à l’entrée du village qu’il avait repéré plus tôt dans la journée. Encore un kilomètre et il trouverait un lit et une chope bien pleine. En trois mois, il avait presque oublié ce qu’était le confort.

     


    votre commentaire
  •  

    Il arriva au village une vingtaine de minutes plus tard. Il s’avança dans ce qui semblait être l’avenue principale, une large coupure entre les maisons, bordé de magasin tous fermés a cette heure tardive. Quelques fenêtres laissaient passer une clarté relative  sur les pavés couvert de boue. La lumière de la lune qui apparaissait par intermittence entre les nuages de pluie se reflétait dans les flaques d’eau comme sur autant de miroir troublé.

     

    Personne ne se souciait de lui alors qu’il s’avançait a la recherche d’un ilot de chaleur qu’il trouva a mi-parcours. Il s’arrêta sous l’enseigne et leva les yeux pour contempler l’œuvre de menuiserie représentant un arbre mort surplombant le nom «  à l’orée des Ombres ».

     

    Il essuya l’eau sur son visage et poussa la porte en songeant que le nom était fort bien choisi.

     


    votre commentaire
  •  

    En poussant la porte il fut assaillit par une bouffée d’air chaud et saturé d’une odeur de sueur, de feu de bois et d’alcool frelaté. L’établissement accueillait une trentaine de personne, un rapide coup d’œil lui indiqua que tous ou presque était originaire du village. Seul un homme, vêtu du vert sombre des voyageurs au long cours, assit a une table au fond de la salle semblait étranger a la bourgade. Un jeune garçon slalomait entre les tables, un plateau en équilibre dans les mains. Derrière le comptoir où une demi-douzaine d’homme ventru dans la force de l’âge sirotait leur chopine, le tavernier, un homme semblable à la clientèle, essuyait avec acharnement un verre plus sec qu’un désert a l’heure du zénith. Il jeta un regard vers l’entrée et s’approcha d’un pas lent en saluant son nouveau client.

    -Bien le bonjour voyageur. Qu’est-ce qui vous amène dans mon établissement ?

    -Je cherche une chambre pour la nuit et une chopine pour la soirée.

    -Vous êtes au bon endroit, nous avons tout ça ici. Si votre bourse le permet, évidemment.

    Il observa le fond de son verre à la lumière d’une des lampes avant de reprendre son travail d’essuyage. Son client déposa trois pièces d’or sur le comptoir.

    -J’aime connaitre le nom de mes clients. Vous pouvez me donner le vôtre ? demanda le barman en remplissant une chope au tonneau situé derrière lui.

    -Béten. Appelez-moi Béten.

    Le tenancier déposa la chope et empocha les pièces.

    -Bienvenue à l’orée des ombres. Les chambres sont à l’étage. Choisissez celle qui vous plaira, nous n’avons pas beaucoup de clients en ce moment.

    Il retourna à ses clients tandis que Beten attrapait sa chope. Il en but une gorgée en balayant la salle du regard avant de se glisser entre les tables jusqu’au voyageur. Il posa sa chope sur la table en tirant la chaise en face de l’homme.

    -Que savent les Ombres ?

    L’homme leva les yeux et tira sur une pipe de bois grossièrement taillé. Il souffla une bouffée de fumée.

    -Rien que l’Ordre ignore.

    Beten s’assit avec un léger sourire. 

     

    L’Ordre avait la réputation d’être au courant de tout, partout, tout le temps. Pour tenir cette réputation, il disposait des Ombres. Chaque voyageur régulier était membre des ombres. Ils glanaient des rumeurs, les recoupaient durant leurs voyage, les répandait, en échangeait d’autres avec d’autres membre des Ombres et rendaient compte à l’Ordre. Ils étaient les yeux et les oreilles de l’Ordre et ne rendaient de compte qu’a ses membres.

    -J’ai été absent trois mois.

    L’homme tira sur sa pipe et rejeta lentement un nuage de fumée.

    -Rien n’a changé. Le roi règne, les contestataires contestent en silence et l’Ordre veille à ce que tout ceci se déroule normalement.

    -Des successions à la cour ?

    Le duc de Machal nous a quittés paisiblement dans son sommeil il y a quelque semaine. Son fils lui a succéder.

    -Machal a toujours été contre le roi.

    -Son fils le suit dans cette voie, mais il le fait en silence.

    -Un homme sage.

     


    votre commentaire
  •  

    -Les troupes du nord ont aussi été remanié. C’est Ivani qui est à leur tête.

     

    -Ivani… Il grimpe vite en grade.

     

    -C’est un égocentrique. Tant que le royaume lui fournira ce qu’il veut, il restera fidèle.

     

    -l’Ordre l’aura a l’œil. Des victoires ?

     

    -Les sauvages du nord ont été repoussés jusque dans les montagnes. A l’est tout est calme. La Noirceur qui couvre le sud empêche toute attaque et les dernières victoires à l’ouest semblent avoir calmé les ardents guerriers des peuples locaux.

     

    -Le Maitre a-t-il donné des instructions précises ?

     

    Le voyageur plongea une main dans sa veste et sortit un rouleau de parchemin qu’il étala sur la table. Il portait un cours texte demandant toute information concernant une congrégation se faisant appeler « les frères assombris de Slarck ». En dessous un emblème représentait un serpent sous un voile ornait la feuille.

     

    Beten enroula le parchemin et le rendit à son interlocuteur.

     

    -Je connais ce sigle, je l’ai vu durant mon voyage. Mais j’ignore tout de ses gens.

     

    -Les Ombres savent qu’ils viennent de l’est. On les dit religieux et reclus, adorateur de la Noirceur. Ils ont pris de l’ampleur récemment et le Maitre craint qu’il ne menace la stabilité de l’état.

     

     

     

    La discussion continua ainsi durant plusieurs heures. Le serveur amena à Beten une assiette de ragout et celui-ci l’accepta avec plaisir.

     

    Peu a peu, la taverne se vidait et le voyageur finit par se lever.

     

    -L’heure est venue pour moi de retourner dans la noirceur de la nuit. L’Ordre règnera…

     

    -… Aussi longtemps que les tavernes auront des coins d’ombre. Lui répondit Beten. Au revoir et puissiez-vous faire bonne route.

     

    Le voyageur inclina la tête, releva la capuche de son manteau, laissa quelques pièces sur la table et quitta l’établissement pour retrouver les ombres de la nuit.

     

     

     

    Beten balaya la salle du regard. Il ne restait plus que deux clients assis au comptoir. Le feu dans l’âtre mourrait lentement et le jeune serveur nettoyait les tables vides avec un grand tissu, en ramassant les chopes vides ici et là.

     

    Beten se leva et se dirigea vers le comptoir. Il héla le patron et lui demanda si une bassine d’eau chaude pouvait être montée dans sa chambre. Le tenancier acquiesça et hurla un ordre au serveur qui disparut dans l’arrière-boutique.

     

    -Il vous la monte dans une dizaine de minutes. Bonne nuit monsieur.

     

    Beten lui rendit son salut et partit vers l’escalier qui montait vers les chambres. Elles étaient au nombre de quatre, toute libres, disposé de chaque côté d’un couloir au mur de bois et de brique de terre. Ca ne valait pas la pierre d’un château mais c’était bien mieux que de dormir dehors. Il entra dans la première chambre à sa gauche.

     


    votre commentaire
  •  

    C'était une petite pièce de trois mètre par trois. Le mur de gauche était occupé par un lit au matelas rembourré de paille. Une épaisse couette de plume offrait une protection contre le froid de la nuit et une couverture plié faisait office d'oreiller. En face, un petit meuble surmonté d'un miroir terne et sale servait autant de table de nuit que de commode. Une chaise placé dans un coin complétait l’ameublement, éclairé par la faible lueur de la lune entrant par la petite lucarne percé face a la porte.

     

    Beten entra et poussa la porte derrière lui. Il s'approcha du meuble et chercha une bougie dans les tiroirs. Il en trouva deux ainsi qu'un bougeoir rudimentaire. Il les sortit de leur rangement et, après en avoir allumé une, il croisa le regard de son reflet dans le miroir. Ses traits était marqué par la fatigue et le grand air. Son teint légèrement halé et ses cheveux mi-long mal entretenu, sa barbe naissante et ses vêtements poussiéreux usés par plusieurs mois de marche dans les terres abandonnés dissimulaient habilement sa qualité de noble.

     

    Il se retourna et ôta son manteau de voyage et l'étala sur la chaise. Il posa son sac au pied de celle-ci et entreprit de retirer les armes accroché a sa ceinture lorsque la porte s'ouvrir lentement, poussé par le garçon d'auberge qui entrait a reculons, les bras encombré par une grande bassine d'eau fumante.

     

    -S'cusez moi m'sieur. Voila votre bain tout chaud.

     

    Il se retourna et déposa la bassine par terre et attrapa au vol la pièce de cuivre que Beten lui lançait.

     

    -Merci m'sieur.

     

    Il se dirigea vers la porte et s’arrêta, la main sur la poignée. Il se retourna pour regarder Beten et ouvrit la bouche0

     

    -S'cusez moi m'sieur mais... Vous êtes un des gars de l'Ordre, n'est-ce pas ?

     

    Beten stoppa son mouvement, une dague a demi décroché. Il tourna la tête vers le garçon. Il n'avait pas plus de quinze ans, n'était pas bien gras et sa musculature laissait a désirer. A moins qu'il ne cache quelque ressource secrète, il n’avait pas grand chose a craindre de lui. Il lui répondit donc avec un léger sourire.

     

    -c'est exact. Je suis l'un des membres de l'Ordre.

     

    Le visage du garçon s'illumina et une étincelle de joie s’alluma dans ses yeux.

     

    -Je le savais ! J'ai deviner quand je suis venu vous servir tout a l'heure. Personne ne parle jamais aux voyageurs. Et puis il y a les armes. J'ai vu votre épée qui dépasse du sac. Par ici, il n'y a que les gardes qui ont des épées, et elles sont vieilles pour la plupart. Et puis...

     

    Il s’arrêta pour reprendre son souffle et Beten se détendit. Il avait manifestement un fan de l'Ordre devant lui.

     

    -Oh monsieur, j'ai toujours voulu faire partie de l'Ordre ! Mais il faut être noble et je ne suis que garçon d'auberge.

     

    -L'Ordre ne compte pas que des nobles de naissance tu sais. Moi-même je n'ai reçu mon titre, honorifique, qu'en entrant dans le rang.

     

    La joie réapparut sur son visage.

     

    -c'est vrai ? Alors vous croyez que je pourrais devenir l'un des vôtres ?

     

    -Je ne peux pas en décider seul mais j'en parlerais a ton père demain et si il est d'accord, tu pourra m'accompagner a la capitale, où le Maître décidera. Sais-tu manier une arme ?

     

    Le jeune homme réfléchit un instant.

     

    -Le couteau de poche, ça compte ?

     

    -Je pense que oui. Maintenant dit moi ton nom et va te coucher. Si tu m'accompagne, tu auras besoin de force.

     

    -Cris monsieur. Je m’appelle Cris Tallin. Merci monsieur. A demain monsieur.

     

    Et il sortit en arborant un sourire jusqu'aux oreilles.

     


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique